samedi 30 avril 2011

The Real Deal

THE REAL DEAL - Melvin Van Peebles (2001)

Comme l'on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même, Melvin Van Peebles s'attèle en 2001 à la réalisation de ce court documentaire sur la genèse et le tournage de Sweet Sweetback's Baadasssss Song. Disponible sur le DVD édité par Arte Vidéo, le voilà ci-dessous en version originale sous-titrée.

1ère partie :


2ème partie :


jeudi 28 avril 2011

Sweet Sweetback's Baadasssss Song

Sorti le 31 mars 1971 au Grand Circus Theater de Detroit, ce film est le fruit d'un véritable combat de Melvin Van Peebles et son équipe contre les studios hollywoodiens, le racisme et la ségrégation et la censure...


SWEET SWEETBACK'S BAADASSSSS SONG
Melvin Van Peebles (1971)

Sweetback (Melvin Van Peebles) travaille dans un club libertin, où il fait le spectacle et donne de sa personne. Son surnom, il le tient de ses précoces prouesses sexuelles. Son patron, Beatle (Simon Chuckster), le "prête" à deux flics qui cherche un Noir à coffrer quelques jours... le contrôle devait être de routine, mais sur la route du commissariat, une émeute éclate et les deux inspecteurs arrêtent Mu-Mu (Hubert Scales), le chef d'un groupe d'activistes. Dans un coin sombre, ils le passent à tabac ; mais Sweetback ne se résout pas à être le témoin passif de ces violences et tue les deux flics.
S'engage alors une cavale à travers la ville où Sweetback trouve de l'aide auprès d'anciennes conquêtes, d'un prêtre iconoclaste (West Gale) et d'autres membres de la communauté. Il cherche à gagner le Mexique, synonyme de liberté, et traverse les étendues désertiques, croisant sur sa route des Hell's Angels, des flics, des rednecks ou des hippies...

Accompagné de la mention "X", le film sort sur quelques écrans en avril 1971 ; Melvin Van Peebles en fera un argument publicitaire, apposant sur l’affiche : "Rated X by an all-white jury". La Bande Originale est composée par Van Peebles, et -précurseur en la matière- il en offre l’interprétation à un groupe funk : Earth, Wind and Fire. Non seulement il la commercialise, mais il se sert de la promotion du disque pour faire la publicité de son film (dont la classification "X" le place en dehors des circuits de promotions ordinaires). Et Sweetback devient le premier film à succès autoproduit par des Afro-Américains : pour un budget de production inférieur à 100 000 $, il compte plus de 10 millions de recette.

« Jusqu’à aujourd’hui, tous les films sur les noirs ont été réalisés suivant la façon de penser de la majorité anglo-saxonne. Dans leur rythme, leur discours, leur langage, ils ont été affadis pour plaire à une majorité, tout comme les restaurants chinois limitent la quantité d’épices pour plaire aux goûts des américains. Je veux que les spectateurs blancs aillent voir Sweetback de la même façon qu’ils iraient voir un film italien ou japonais. Ils doivent comprendre notre culture », explique Melvin Van Peebles dans son journal de tournage. Voilà donc la volonté affichée tout au long du film de créer une autre façon de filmer, une « touche » afro-américaine : surimpression de dessins (de style funky), jeu sur les contrastes, couleurs flashies et enseignes lumineuses défilent lors des plans urbains, mise en scène rythmée par la musique (les plans se superposent au son des percussions ou des cris du chanteur), réutilisation de plans sous différents angles... Van Peebles réussit en parti ce pari de créer un style puisqu'on retrouve dans les autres films des années 70 certaines de ces caractéristiques visuelles (toutefois sans le montage très "nouvelle vague").

Quant au personnage de Sweetback, c'est la représentation idéalisée de l’Afro-Américain : combatif, fier de ses racines et de son physique. Il est courageux sans être particulièrement surhumain. Il n’hésite pas à s’attaquer à des policiers -blancs- pour sauver un leader noir qui se fait tabasser sous ses yeux. La mort des agents est toujours lente et agonisante : frappés à coup de menottes en guise de poing américain, étranglement et queue de billard enfoncée dans le coeur… Mais il n’utilise la violence que pour se défendre. Sweetback sacrifie plusieurs fois sa sécurité et son bien-être individuels pour sauver Mu-Mu, le leader noir.
Il est présenté comme un être particulièrement « sexué ». Dès les premières scènes du film, on le voit nu, arborant un corps d’athlète, sur lequel la caméra s’appesantit. A la conclusion d’une des scènes d’amour, on aperçoit même son sexe (chose incroyable aujourd'hui encore). Sa sexualité débordante lui permet d’une part d’en vivre et plus tard de se sortir de nombreuses situations périlleuses : coucher pour qu’une femme lui enlève les menottes, battre à un concours de « baise » la chef des Hell's Angels, coucher avec une hippy dans les fourrés pour échapper aux fouilles des policiers...

Le casting, c'est la communauté afro-américaine, pour la plupart des inconnus interrogés pour savoir s'ils ont vu Sweetback. Quelques actrices et acteurs apparaîtront dans ce qui deviendra la blaxploitation : West Gale (Dolemite et Disco Godfather), Rhetta Hughes (Don't Play Us Cheap), Lavelle Roby (Black Gunn)... Certains même dépasseront les limites du genre et connaitront une carrière conséquente, comme bien sûr son fils Mario (qui joue Sweetback jeune) qui devient acteur et réalisateur, et John Amos -associé à jamais à Kunta Kinte adulte dans la série Roots- qui joue pour Sidney Poitier dans Let's Do it Again, aux cotés d'Eddie Murphy dans Coming to America, ou même dans des blockbusters comme Die Hard 2. Ou encore Ed Rue joue dans une poignée de film dont Black Fist, et est crédité comme ingénieur du son sur Wattstax et House Party.
Quant aux acteurs blancs, Melvin va les chercher aussi dans les séries B, ches les non-syndiqués et autres parias de la grande distribution : Nick Ferrari (Slaughter's Big Rip-Off), Ron Prince (Hot Potato), Joe Tornatore (Sweet Jesus, Preacherman, Cleopatra Jones, Top of the Heap, Black Samson), John Allen (Mo'Money), Vincent Barbi (Black Belt Jones et Dolemite).

lundi 25 avril 2011

Melvin Van Peebles

Voilà 40 ans sortait sur les écrans américains une bombe artistique et politique. Ce film manifeste, produit et distribué de façon indépendante, c'est Sweet Sweetback's Baadasssss Song, une de ces œuvres qui marquent de leur empreinte une époque, un de ces films où il y a un avant et un après leur diffusion. L'artisan de ce projet s'appelle Melvin Van Peebles, un incomparable personnage, un artiste complet et un visionnaire incroyable. Je lui empreinte bien humblement son prénom comme pseudo, il est temps maintenant de lui rendre sur ce blog l'hommage qu'il mérite. Je m'y attacherai dans les semaines à venir en y consacrant mes chroniques.

MELVIN VAN PEEBLES :
Acteur, réalisateur,
compositeur, scénariste,
écrivain, poète, chanteur, monteur, trader, traducteur...

Melvin Peebles naît dans le South Side, un quartier noir de Chicago, le 21 aout 1932. Il vit de petits boulots : 3 ans dans l'US Air Force, conducteur de tramway à San Francisco...
Mais la fibre artistique le travaille. Il sort en 1957 The Big Heart, un livre de photographies urbaines signées la photographe Ruth Bernahrd, dont il asssure la partie écrite. La même année, il débute sa carrière de réalisateur par trois court-métrages difficilement trouvables : A King, Sunlight et Three Pickup Men for Herrick.

Escale française...
Peu après, il émigre en Hollande (où il étudie l'astronomie) ; il est coupée dans ses études par un invitation pressante à présenter ces films à la Cinémathèque, à Paris. Il y prend ses quartiers et s'installe plusieurs années dans la capitale française. Ironie du sort, c'est là qu'il rencontre le grand romancier afro-américain Chester Himes ; les deux exilés nouent une réelle amitié.
En 1963, Van Peebles réalise un nouveau court, Cinq cent balles. On retiendra surtout sa collaboration à France Observateur puis à Hara-Kiri (les ancêtres respectifs du Nouvel Observateur et de Charlie Hebdo). Il devient un membre à part entière de l'équipe de l'hebdo satyrique pour lequel il écrit des contes (comLienme Le Chinois du XIVème, illustré par Topor) et assure la traduction de textes de Chester Himes, dont l'adaptation par Wolinsky de La Reine des pommes en BD. Les revenus qu'il tire de ses activités, il les investit dans le cinéma.
Ainsi, il réalise La permission (titré en anglais Story of a 3-Day Pass), son premier long métrage, l'histoire d'amour d'un GI noir et d'une française blanche, tourné en noir et blanc dans un style très "nouvelle vague". Ironie du sort, le film est présenté à San Francisco, et les organisateurs se rendent compte qu'ils ont à faire à un Afro-Américain, alors qu'ils pensaient avoir invité un jeune réalisateur français.

Brer Soul
C'est sous ce pseudo que Melvin Van Peebles, parallèlement à ses travaux en France puis aux Etats-Unis, se lance dans la chanson. Entre 1969 et 1975, il livre 4 albums où l'on retrouve son appétence pour les titres à rallonge : "Brer Soul", "Ain't Supposed to Die a Natural Death","As Serious as a Heart-Attack" et "What the...You Mean I Can't Sing?", ainsi que 4 OST, celles de Watermelon Man, Sweetback..., Don't Play Us Cheap et Ain't Supposed to Die a Natural Death (différente du LP éponyme).
Là encore, son talent est teinté d'amateurisme (ce qu'il reconnaît bien volontiers) mais aussi et surtout d'un avant-gardisme hallucinant. C'est bien en précurseur qu'il se positionne encore, devenant, si ce n'est le premier rappeur, au moins un père fondateur du rap. Ces albums se présentent comme des manifestes sonores où se mélangent textes politiques, free jazz échevelé, djembé façon Last Poets et diction théâtrale (qu'on appellerai aujourd'hui slam).
Le plus étonnant, c'est que c'est le folklore français qui l'amène à explorer les voies de la chanson et de la musique, déclarant à ce propos : "Les chansons réalistes, et celles de Bruant en particulier, sont tout à fait dans la ligne du rap. Saint-Lazare ou La Glacière, ça peut être des chansons rap pour parigots."
Malheureusement, il est difficile aujourd'hui de trouver tous ces titres...

Retour au pays
De retour à San Francisco qu'il avait quitté plus d'une décennie auparavant, Melvin se concentre sur la réalisation. Il tourne un épisode du Cosby Show, puis signe avec la Columbia un contrat pour trois films. Il n'en fera qu'un : Watermelon Man, une comédie satyrique où un blanc raciste se réveille noir. Non seulement l'acteur, Godfrey Cambridge, est Noir ; en plus, Melvin tourne une fin alternative -et plus progressiste- qu'il cache au studio et place au montage final. Cependant, comme Watermelon Man est un succès au box-office, la Columbia ne rompt pas son contrat, elle souhaite même le voir réaliser un biopic sur Malcolm X, sur la base de l' "autobiographie" écrite par Alex Haley.
Melvin refuse ce projet, dans lequel il aurait été limité et contraint, et se lance dans une aventure cinématographie qui va l'éloigner définitivement des grands studios hollywoodiens.

"A Baadasssss Nigger is Coming Back to Collect Some Dues"
Van Peebles se lance dans un projet ambitieux : "Je voulais faire un film victorieux. Un film où les Noirs peuvent sortir du cinoche la tête haute", explique-il dans le journal de tournage. "Le film ne pourra pas se contenter d'être un simple discours didactique projeté [...] dans un cinéma vide, à l'exception de dix ou vingt frères déjà convaincus qui me taperont sur l'épaule en me disant que le film dit vraiment la vérité. [...] Il doit être capable d'exister comme un produit commercial viable sinon il n'aura aucun pouvoir".
Ainsi naît Sweet Sweetback's Baadasssss Song. Le film est un succès sur tout les plans : financier d'abord (il rapporte cent fois son budget de production), symbolique (il impose le premier héros afro-américain qui s'en sort malgré ses déboires contre la police, ainsi qu'une équipe techinque mixte), artistique (par une réalisation inédite très inspirée, façon "nouvelle vague") et d'estime (il rencontre un succès auprès de la communauté et est plébiscité par Huey Newton et le Black Panther Party).

Mais cela marque aussi le début des ennuis pour Van Peebles : il est black-listé à jamais par l'industrie du cinéma. Alors que dans le même temps les producteurs hollywoodiens ont compris les profits potentiels qu'offraient les films mettant en vedette des Afro-Américains : se succèdent les Shaft, Coffy, Black Caesar et autre Truck Turner ; mais rares sont les films qui retrouveront la puissance contestataire qu'avait insufflé Van Peebles (citons tout de même The Spook Who Sat by the Door, Top of the Heap ou The Final Comedown)

De Broadway à Wall Street...LienBlack-listé par les producteurs et distributeurs, il se tourne alors vers Broadway et les comédies musicales. Il en fera deux en 71 et 72 : Ain't Supposed to Die a Natural Death (encore joué de nos jours) et Don't Play Us Cheap (originellement un film, invisible jusque dans les années 90). Ces deux comédies musicales sont d'ailleurs reconnus par la profession, récoltant de nombreux prix et autres nominations aux Tony Award.
S'ensuit une absence de 16 ans sur les écrans (il est toud de même crédité comme scénariste de Greased Lightning, de Michael Schultz avec Richard Pryor). Melvin en profite pour explorer d'autres horizons. Fidèle à lui-même, on le retrouve là où on ne l'attend pas : à Wall Street, où il devient le premier trader afro-américain. Il publie même un best seller sur la bourse et les recettes pour devenir riche intitulé Bold Money: A New Way to Play the Options Market.

Il réapparaît au cinéma en 1989 avec la réalisation d'Identity Crisis, un produit ultra-bis à la limite du mauvais goût dont son fils, Mario Van Peebles, écrit le scénario et interprète le rôle principal.
En tant qu'acteur, il fait de très brèves apparitions dans les années 80 et 90 : The Sophisticated Gents, O.C. and Stiggs de Robert Altman, America de Robert Downey Sr., Les dents de la mer 4 (aux cotés de Mario), True Identity, Boomerang, et même dans Antilles sur Seine de Pascal Légitimus.
Il tourne aussi dans les premières réalisations, qui remportent un franc succès, de son fiston Mario : la série Sonny Spoon, le western Posse (avec d'autres gloires du cinéma soul tels que Pam Grier et Isaac Hayes), la fresque politique Panther, le téléfilm Gang in Blue (où le père et le fils partage l'affiche comme co-réalisateurs et acteurs).
Sa présence semble plus incongrue dans des gros blockbusters comme Fist of the North Star (la version film de Ken le survivant), Terminal Velocity, Last Action Hero avec Schwarzenegger...

La renaissance d'une icône
A la fin des années 90, il y a un incontestable regain pour Melvin Van Peebles et l'épopée de Sweet Sweetback...
D'une part, le succès des films de Spike Lee, Reginald Hudlin, Mario Van Peebles et tant d'autres propulsent à nouveau des personnages noirs au devant de la scène. D'autre part, le Jacky Brown de Tarantino fait naître un intérêt nostalgique pour la blaxploitation. Or, dans les deux cas, on évoque forcément Sweetback et Melvin Van Peebles. Ainsi, une série de documentaires (et le film-hommage de son fils : Baadasssss !) viennent populariser et contribuer à mythifier -à raison à mon sens- l'incroyable génie de ce film et de son artisan touche-à-tout.

Comme réalisateur, Melvin Van Peebles reste le trublion iconoclaste qu'il a toujours été : il livre un court métrage érotique : Vrooom Vroom Vrooom, un film sur un couple dans la France profonde des années 60 : Le conte du ventre plein, puis ses Confessionsofa Ex-Doofus-ItchyFooted Mutha en 2008, qu'il présenta à St Denis dans le cadre du festival "Black Revolution".
Là encore, il est fort regrettable que ces œuvres, en particulier les deux dernières, ne soient disponibles en DVD, faute de distributeurs probablement.

1968
La Permission (Réalisateur, compositeur et scénariste)
 Lien
1970
Watermelon Man (Réalisateur, compositeur et acteur)

1971
Sweet Sweetback's Baadasssss Song (Réalisateur, acteur, compositeur, scénariste et monteur)
Sweet Sweetback's Baadasssss Song - Journal d'un film - Livre

1973
Don't Play Us Cheap (Réalisateur, compositeur et scénariste)

1977
 Greased Lightning (Scénariste)

1989
Identity Crisis (Réalisateur et acteur)

Lien
1993
Boomerang (Acteur)
Posse (Acteur)

1995
Panther (Scénariste et acteur)

1996
Gang in Blue (Réalisateur et acteur)

1998
Classified X - Documentaire

2000
Antilles sur Seine (Acteur)
Le conte du ventre plein (Réalisateur, compositeur et scénariste)

2001
The Read Deal - Documentaire

2003
Baadasssss ! How to Get the Man's Foot Outta Your Ass (Scénariste)
The Hebrew Hammer (Acteur)

2005
How To Eat Your Watermelon in White Company (And Enjoy It) - Documentaire

2009
Confessionsofa Ex-Doofus-ItchyFooted Mutha (Réalisateur et scénariste)

2010
Sweet Sweetback's Baadasssss Song - Opéra
 

samedi 16 avril 2011

Comédies des 90s : conclusion

La décennie 90 commence bien mal ; d'autant plus mal que le grand acteur et réalisateur Sidney Poitier livre une dernière production minable : Ghost Dad. Mais la même année, un petite comédie titrée House Party apparemment insignifiante sonne le départ d'une nouvelle vague de réalisateurs afro-américains talentueux et d'un genre à part entière qui va inonder les écrans, les urban movies, les films sur le ghetto, dont les plus importants -que j'ai chroniqué voilà quelques mois- sont Boyz N the Hood, New Jack City, Juice ou encore Menace II Society.

Une nouvelle génération de réalisateurs et d'acteurs
Mais à la différence de ses films sérieux et sombres, House Party offre un vision à la fois rafraichissante et pertinente des problèmes de la jeunesse noire. En outre, deux séquelles suivront : House Party 2 et House Party 3, tout deux réalisés par des afro-américains, ce qui contribue à garder l'esprit léger et impliqué de l'original.
Le succès permet surtout à Reginald Hudlin de s'imposer aux cotés des Spike Lee et autres John Singleton. Hudlin préfère les comédies aux chroniques sociales de ses collègues : il livre le très bon Boomerang, une comédie sentimentale où il offre à Eddie Murphy sa première scène d'amour (en 10 ans de carrière), puis le réjouissant The Great White Hype sur l'univers de la boxe.

Un autre réalisateur noir profite à fond cette décennie : Robert Towsend, découvert grâce à Hollywood Shuffle. Il réalise The Five Heartbeats, The Meteor Man et B*A*P*S ; le premier sur un groupe soul, le second sur un super-héros "ordinaire", le dernier -plus décevant- narrant la rencontre de deux afro-américaines d'un milieu populaire avec la grande bourgeoisie blanche.
Spike Lee livre une comédie intimiste, Crooklyn, et son ancien chef opérateur Ernest R. Dickerson un film d'action au duo interracial : Bulletproof.
La famille Wayans s'impose dans ces 90s : Keenen Ivory avec A Low Down Dirty Shame, Damon avec Mo'Money, Blankman, Major Payne , Celtic Pride et Bulletproof, et enfin Marlon et Shawn (qui joue seul dans The 6th Man) propose la parodie bien sentie des films de gang : Don't Be a Menace to South Central While Drinking your Juice in he Hood.

Deux acteurs qui s'étaient illustrés dans la Blaxploitation reviennent, endossant le costume de réalisateur. D'abord Kevin Hooks, jeune acteur prometteur de drames des 70s, et fils de l'acteur Robert Hooks : il réalise presque par hasard Strictly Business, sa seule comédie avant de tourner un remake de La chaîne puis il se spécialise dans les bons gros films d'action (dont Passenger 57). Ensuite Bill Duke qui la séquelle Sister 2 Back in the Habit (il prouvera son talent à d'autres occasions, comme les très bien sentis A Rage in Harlem et Hoodlum)

La représentation de la sexualité a toujours été un marqueur important : consciensieusement "oubliée" dans les films hollywoodiens grand public, elle est presqu'exclusivement représentée par des réalisateurs afro-américains. Et cette décennie est marquée par une floppée de comédies romantiques inédites : Boomerang, Strictly Business (de Kevin Hooks), Jungle Fever, Sprung (de et avec Rusty Cundieff), Booty Call (qui lance Jamie Foxx), A Thin Line Between Love and Hate (réalisé par Martin Lawrence)


Persistance des stéréotypes
Si l'on s'arrête là, on peut avoir l'impression que tout s'est arrangé et que les Afro-Américains ont repris le pouvoir sur leur propre représentation. Mais il subsiste encore, en parallèle, des productions très stéréotypées qui utilisent les grands acteurs afro-américains dans des rôles consensuels (c'est à dire acceptable pour un public blanc).
C'est le cas des inégales aventures de Whoopie Goldbeg (Sister Act, Sister 2 Back in the Habit, Made in America, Bogus et Eddie), du retour peu convaincant d'Axel Foley/Eddie Murphy dans Le Flic de Beverly Hills III et des scatologiques Professeur Foldingue puis de La famille Foldingue (malgrès une prestation talentueuse de Murphy en plusieurs personnages) et du gentillet Dr. Dolittle ainsi que dans une moindre mesure, de Bad Boys et Flic de haut vol avec Martin Lawrence.

Film noir/Film blanc
On peut toujours tracer une vrai ligne de partage entre films réalisés et/ou produits par des Afro-Américains ou des Blancs. Avec la blaxploitation, tous les héros noirs étaient positifs, voire sur-humain. Les années 80 marquaient un recul, on l'a vu, avec la renaissance de stéréotypes du noir comique asexué et apolitique. Seuls quelques films sortaient du lot (ceux de Spike Lee ou Robert Towsend, ou lorsqu'Eddie Murphy participait à ses scénarios). Dans la décennie 90, c'est l'explosion des films par, pour et avec les Afro-Américains.
Les productions où sont étroitement associés les Afro-Américains restent donc les plus justes dans la représentation de la communauté noire, dans la diversité des personnages, dans l'expression de la culture et des modes de vie...
La dichotomie entre productions noire et blanche persiste donc. Eddie Murphy et Martin Lawrence sont l'exemple même de ce phénomène : ces grands acteurs font des films commerciaux en acceptant des rôles plus ou moins débiles, mais dans le même temps, il produisent voire réalisent des films où ils s'offrent des rôles plus profonds, plus percutants et moins manichéens (hors de la comédie, c'est aussi le cas de mario VanPeebles qui enchaîne les nanars comme acteur, mais réalise d'excellents longs métrages très "black power").

Le retour de personnages noirs ordinaires (entendez non caricaturaux) se fait presqu'uniquement grâce à la volonté farouche de réalisateurs afro-américains à partir de 1986. A l'époque le discours est militant, les personnages se battent (contre le racisme, contre la société misogyne, contre "The Man"...), ils ont une cause et évoluent quasi-exclusivement dans la communauté afro-américaine, comme pour prendre le contre-pied de ces films hollywoodien où le héros noir vit uniquement au milieu des Blancs et est totalement acculturé. Dans les années 90, on sent qu'une nouvelle étape est franchie, puisque les héros sont maintenant plongés dans un monde "réel", mais tout en gardant leur intégrité, leur personnalité, leur culture, leurs codes... Ces films ne se réduisent pas à une dénonciation du racisme ou des conditions d'existence de Noirs, mais proposent de nombreux sujets du plus sérieux au plus futile.
Les acteurs et personnages blancs prennent même dorénavant leur place dans ces films (souvent dans des rôles subalternes, mais pas uniquement dans le rôle des méchants, comme dans la blax'). Damon et Keenen Ivory Wayans se posent spécifiquement sur ce créneau (ce dernier a d'ailleurs ouvert son show TV In Living Colors à des actrices et acteurs blancs -dont Jim Carrey qu'il contribue à faire percer).

L'émergence des films commerciaux à consonnances hip-hop (comme Friday avec Ice Cube et Chris Rock, I Got the Hook Up de Master-P, Woo avec Jada Pinkett Smith, How To Be A Player) bouleversent les cartes. Souvent réalisés ou appuyés par des rappeurs noirs, ils proposent des caricatures qui semblaient oubliées et suintent d'une misogynie forcenée. Seuls CB4 dénonce avec humour ces excès et Half Baked prend le parti de traiter par l'absurde la consommation d'herbe.
A l'inverse, on compte sur les doigts de la main les films de réalisateurs blancs particulièrement réussis et respectueux de leurs personnages noirs : une comédie politique incomparablement géniale de Warren Beatty : Bulworth, la comédie hilarante de Franck Oz avec Steve Martin et Murphy : Bowfinger, et la grande fresque du duo Murphy/Lawrence : Life.
Déplorable pour la première et porteuse d'espoir pour la seconde, ces tendances vont connaître des fortunes diverses dans les années qui suivent. Les films outranciers mettant en vedette des rappeurs vont se multiplier avec leur lot de nouveaux clichés, tandis que rare resteront les réalisateurs blancs à s'intéresser et à représenter positivement les Afro-Américains, et en particulier dans les comédies...

1990

1991

1992
1993

1994

1995
Bad Boys

1996

1997

1998

1999

jeudi 14 avril 2011

Life

Perpète réunit les deux acteurs comiques de l'année 1999, Eddie Murphy et Martin Lawrence (respectivement quatre et deux films cette année-là), et la collaboration s'avère plus que fructueuse...

LIFE - Ted Demme (1999)


Dans une prison du Mississipi, pendant que deux jeunes prisonniers rebouchent deux tombes, le vieux Willie Long (Obba Babatundé) leur conte la vie des deux macchabées. Tout débute en 1932, lorsque Rayford Gibson (Eddie Murphy), une petite frappe au bagou inaltérable, et Claude Banks (Martin Lawrence), un employé de banque fraîchement embauché, se trouvent obligé de convoyer de la gnole pour le compte d'un gangster de Harlem. Les deux hommes partagent peu de choses : une vie et des ambitions différentes,
Lors d'une étape, Winston (Clarence Williams III) leur meurt mystérieusement dans les bras, après avoir escroqué Ray au poker. Le mobile est tout trouvé et la justice des Blancs du Sud ne cherche pas plus loin : les deux compères sont condamnés à perpétuité dans un bagne du Mississipi.Certes l'humour est présent, mais pas celui dans lequel s'illustrent le plus souvent Eddie Murphy et Martin Lawrence (c'est d'ailleurs la volonté affirmée de Ted Demme, à qui l'on doit le petit film Who's the Man ?). Les deux acteurs ont joué pour la première fois ensemble dans Boomerang, et c'est à ce genre de comédies que l'on peut comparer Life : une comédie pertinente où se mêle à la fois l'humour, les sentiments, le drame et la solidarité. On suit les deux personnages principaux pendant 70 ans, un vieillissement rendu crédible par le bon jeu de Martin et Eddie, et grâce aux maquillages perfectionnistes de Rick Baker (nominé aux Oscars).

J'ai un faible pour les reconstitutions historiques et les films en costumes d'époque. Et on peut dire que ce film nous fait voyager, du Harlem by night au Sud profond, jusque dans les rêves de Ray. Le tout sur une BO réussit, signée de Wycleef Jean, l'ex-Fugees.

Même si le réalisateur est Blanc, c'est bien d'une histoire d'Afro-Américains dont il s'agit, une histoires sur, avec et du point de vue des Afro-Américains. Le parallèle avec l'esclavage paraît évident ; on peut même, en poussant un peu, y voir une parabole sur la ségrégation : travail gratuit, poursuite des évadés par des Blancs et des chiens, directeur de la prison représenté comme un directeur de plantation -avec sa famille bien proprette qui assiste frétillante aux activités de détenus et sa fille qui accouche d'un enfant métisse...

Enfin, dernier point essentiel : cette comédie historique rassemble un casting incroyLienable qui investit des seconds rôles touchant, campés avec précision et dignité. On peut citer pêle-mêle Bernie Mac, Anthony Anderson (Romeo Must Die, Exit Wounds, Kingdom Come, Cradle 2 the Grave, Big Momma's House, Barbershop), Barry Shabaka Henley, Miguel A. Núñez Jr.,
Bokeem Woodbine, Lisa Nicole Carson, Clarence Williams III, Michael "Bear" Taliferro, Sanaa Lathan, Zaid Farid (Bowfinger), Guy Torry, Armelia McQueen, William B. Taylor, Ernie Banks, le funkman Rick James.
L'équipe des cascadeurs est aussi étoffée avec les dinosaures Tony Brubaker et Jophery C. Brown et la nouvelle génération Big Daddy Wayne, Eric Chambers et Jalil Jay Lynch

lundi 11 avril 2011

Blue Streak

Voilà une de ses comédies policières qui inondèrent les années 80 et 90. Martin Lawrence, après l'énorme succès de Bad Boys, prête donc son comique à ce Flic de haut vol...

BLUE STREAK - Les Mayfield (1999)


Miles Logan (Martin Lawrence) est as du cambriolage, mais trahi par un comparse, sa dernière opération tourne mal et il a juste le temps de planquer un énorme diamant dans une conduite d'aération d'un immeuble en chantier avant de se faire arrêter. A sa sortie de prison, il file directement récupéré le diams, mais l'immeuble est devenu... un commissariat !
Il se fait alors passer pour l'officier Malone. Ses méthodes pas très orthodoxes le propulsent tout de même inspecteur, tandis qu'il tente par tous les moyens de récupérer son diamant...
Dès sa sortie, cette comédie d'action des plus classiques cartonne au box-office et les bénéfices atteignent 120 millions de dollars. Il faut dire que les ingrédients du blockbuster sont réunis pour le pire comme pour le meilleur : héros black est jovial et fort en gueule, seconds rôles calibrés, grosses cylindrés et scènes d'action réussies, BO hip hop dans le vent...
Le rôle-titre est confié à Martin Lawrence, malheureusement trop habitué à ce genre de productions. Pour les raisons évoquées plus haut, ce n'est pas le plus mauvais (on pense à Black Knight ou Big Momma's House 2), mais Lawrence est cantonné au sempiternel gentil noir inoffensif, au bagout inaltérable et à l'improvisation dans la peau.Et il rajoute un maximum dans les mimiques et les déhanchés. Un Beverly Hills Cop des années 90, en somme...

Bien entendu, le film est truffé de "gueules" habituées des films d'action comme Peter Greene, Saverio Guerra, William Forsythe, Frank Medrano, Richard C. Sarafian, Carmen Argenziano. Quant aux acteurs noirs, il y a bien un petit rôle tenu par Dave Chappelle (The Nutty Professor, Woo, Undercover Brother, Block Party), égal à lui-même, et aussi les seules représentantes de la gent féminine, il faut l'avouer totalement inutiles malgré leur relative notoriété : Tamala Jones (qui débute dans Booty Call), Octavia Spencer (The Sixth Man, Big Momma's House, Breakin' All the Rules, Bad Santa, Beauty Shop...) et Nicole Ari Parker (Soul Food, Black Dynamite...). Petite perle : l'acteur et cascadeur Eddy Donno est au générique ; quasiment inconnu, il présente pourtant un palmarés étonnant : les films blax' Black Samson et Cleopatra Jones & The Casino Of Gold, puis plus Beverly Hills Cop II, Money Train, Fled, Independence Day, Norbit...

vendredi 8 avril 2011

Bowfinger

Troisième film dans la même année pour Eddie Murphy qui rencontre dans ce Bowfinger, roi d'Hollywood une autre star du rire : Steve Martin.

BOWFINGER - Frank Oz (1999)


Robert K. Bowfinger (Steve Martin) est un producteur raté, persuadé de tenir le scénar du siècle. Il sollicite une grosse vedette Kit Ramsey (Eddie Murphy), mégalomane et paranoïaque adepte d'une secte. Bien sur, celui-ci ne prette pas à attention à Bowfinger, qui convainct son équipe que Kit a accepté, mais ne souhaite pas voir la caméra par professionnalisme.
Or ce tournage à son insu renforce la paranoïa de la star, déjà persuadé d'entendre des voix. Et, sur les conseils de son mentor, il se met au vert et disparaît de la circulation.
Pour finir son film, Bowfinger engage Jiff Ramsey (Eddie Murphy), un simplet qui a pour seul talent de ressembler à la star introuvable...
Le scénario est sacrément bien trouvé et la réalisation, assez classique, nous fait vivre à 100 à l'heure le tournage épique du film bis ultime, tourné par une micro-équipe de doux dingues. Toute considération habituelle mise à part, j'ai vraiment adoré ce film. Effectivement, entre le minable et vulgaire Nutty Professor 2 : The Klumps, le gentillet Dr. Dolittle et cette étonnante comédie loufoque, il n'y a pas de doutes, mon choix se porte sans l'ombre d'une hésitation sur ce Bowfinger qui s'avère être dans l'ensemble drôle, imprévisible et décalé.

Pourtant, il est assez ambivalent. Clairement le rôle de Murphy aurait pu à de rares dialogues prêt être confié à un Blanc. Et c'est probablement son incroyable talent qui l'a fait retenir. De ce point de vue sa présence marque un tournant positif dans le cinéma américain où les acteurs noirs comiques peuvent être employé pour leur talent et pas pour remplir des quotas et s'assurer un succès au box-office à peu de frais.
Les deux personnages incarnés par Murphy donnent une image caricaturale des Afro-Américains, en particulier la version "Jiff", qui renvoie directement aux coons d'antan avec les épaules enfoncées, les yeux globuleux et la voix lancinante. En plus, on ne retrouve pas cette bêtise et ce physique de loosers chez aucun personnage blanc (mais Bringing Down the House qui réunit le même Steve Martin et Queen Latifah est de ce point vu bien plus tendencieux). Cependant le scénario réserve tout de même quelques surprises qui battent en brèche ces caricatures éculées. Et il faut l'avouer, c'est une des meilleures compositions de Murphy dans la période.
Au rayon équipe technique, petite mention pour le costumier Joseph G. Aulisi (qui débute dans Shaft, Shaft's Big Score ! et The Legend of Nigger Charley)